Dans le contexte très contemporain de la lutte acharnée des femmes pour leur émancipation, Macha Makeïeff se devait de prendre sa part. Elle a choisi de le faire par l’humour, parfois jusqu’au délire, avec le secours de Molière et de ses Femmes savantes.
« L’Illimité du désir féminin », par Macha Makeïeff
« Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes,
De cette indigne classe où nous rangent les hommes. »
« Jouer Les Femmes savantes c’est évidemment le plaisir de retrouver la langue et l’humeur de Molière, à qui il reste une année à vivre lorsqu’il interprète cette pièce quasi testamentaire. Un homme fatigué, trahi, admiré et détesté – vie privée, vie publique – mais qui garde son insolence et son goût de la provocation des ordres établis, qui se rappelle Gassendi et les élans hédonistes de sa jeunesse au Collège de Clermont, refuse le sectarisme et les esprits étroits, et rit des travers d’une famille bourgeoise qui va sens dessus-dessous.
Plus que la misogynie, latente ou explicite que Molière fait entendre, c‘est cette terreur que provoque chez les hommes l’illimité du désir féminin qui m’a intriguée – ici désir de savoir, de science, de rêverie et de pouvoir – et plus encore le désarroi masculin qui en découle. Ici, les excès des femmes, chimère érotomane de la tante, folie sectaire de la mère et de la fille aînée, rébellion ardente de la cadette, insolence sauvage de la cuisinière, envahissent dangereusement et délicieusement l’espace domestique. La maison Chrysale vrille. Les femmes de la maison se perdent dans les impasses d’une émancipation impuissante face à un mari dépassé et pleutre, un frère manipulateur, un amant hésitant et un intrus, parasite cynique et séducteur. Un vent de folie et de désastre souffle sur la maison.
Car il y a des complots, spéculations, petits intérêts à défendre du côté masculin. Membres de la famille pique-assiettes et installés dans la maison et séduisants prédateurs venus de l’extérieur, ils rivalisent pour tenir la place. Même l’amour ou ce qui en tient lieu est l’objet de calculs, de manipulations en tous genres. Les hommes ne s’en sortent pas mieux que les femmes. Ils sont presque égaux en douleur, en impuissance, en confusion dans ce combat permanent qui pourrait facilement transformer en tragédie cette comédie au verbe fort et haut. Un verbe qui ne s’arrête jamais et qui demande des interprètes virtuoses et hantés.
Dans cette maison hallucinée, seuls la ruse, la fiction, le mensonge, le stratagème, le rire, la musique et quelques artifices – c’est-à-dire le théâtre et ses armes – viendront à bout de la folie et de ses tourbillons. »