De Fauré à Gainsbourg
« Le temps de rêver est bien court », écrit Aragon.
Et si nous prenions justement ce temps… c’est à ce voyage musical, onirique et poétique que nous invite Noëmi Waysfeld. La chanteuse a choisi pour cela parmi les plus beaux textes de la poésie française, de Baudelaire à Prévert qui ont été mis en musique par des compositeurs classiques (Duparc, Poulenc…) ou interprétés par des chanteurs comme Cora Vaucaire ou Serge Gainsbourg.
De Fauré à Ferré… les subtils arrangements des interprètes du Quatuor Dutilleux qui l’accompagne permettent de voyager d’un monde à l’autre avec une fascinante cohérence, révélant le parfait cousinage entre la musique populaire avec celle qu’on disait autrefois et si maladroitement « savante ».
Deux titres avec le piano soyeux de David Kadouch viennent ponctuer ce voyage, ainsi que des chansons de Charles Trenet qui nous rappellent pourquoi « longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues » … ainsi que dans les albums ou sur scène !
Programme
Gabriel Fauré Chant d’automne
Henri Duparc Invitation au voyage
Henri Sauguet Le Chat
Charles Trénet Chanson d’automne
Ernest Chausson L’Albatros
Gabriel Fauré Au bord de l’eau
Charles Trénet L’Âme des poètes
Joseph Kosma Fille d’acier
Léo Ferré Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Serge Gainsbourg Le Serpent qui danse
Charles Trénet La Maison du poète
Présentation du concert
Par Caroline Sergeant, élève de khâgne option Musique du lycée Fénelon de Paris, partenaire de la Scala Paris.
« Le temps de rêver est bien court », regrette Aragon dans son poème Est-ce ainsi que les hommes vivent. En donnant ce titre à son tout récent album, Noëmi Waysfeld nous propose d’étirer ce temps et d’en prolonger le charme, qui nous enveloppe tout le long de son concert.
Bercée dans son enfance par le jazz et les musiques traditionnelles, le timbre onirique et chaleureux de la chanteuse ravive le vaste répertoire de la mélodie et de la chanson française. Si Gainsbourg s’exclame contre Guy Béart en 1986 que « la chanson est un art mineur », ce n’est certainement pas l’opinion de Noëmi Waysfeld, qui la perçoit plutôt comme la descendante naturelle de la mélodie classique, refusant ainsi d’établir une hiérarchie entre ces deux genres. Cette filiation est lisible dans le programme du concert, qui les entrelace avec harmonie. Ainsi, les morceaux nous bercent de part et d’autre des époques, de la fin du dix-neuvième siècle jusqu’aux années soixante. D’un côté, Fauré, Chausson et Duparc, les maîtres de la mélodie française, qui cherchent à revaloriser la musique vocale à travers des œuvres plus intimistes, à une époque où l’éloquence des orchestres wagnériens retentit avec fracas dans toute l’Europe. De l’autre, les « artisans de la chanson », auxquels Charles Trenet ouvre la voie en devenant le premier compositeur et auteur de chansons populaires à donner un récital au Théâtre de l’Étoile en 1945 (accès autrefois réservé aux interprètes de musique classique), annonçant les espiègleries de Gainsbourg, le lyrisme de Ferré, ou le doigté de Kosma qui traduit en musique les textes de Prévert.
Noëmi Waysfeld est aussi une comédienne et la dimension poétique de ce concert est annoncée par le Quatuor à cordes qui l’accompagne. Celui-ci emprunte son nom à Henri Dutilleux, compositeur contemporain qui revendique une inspiration musicale fortement animée par la littérature. Dans ce concert, le texte et la musique s’étoffent mutuellement dans un même mouvement : la délicatesse du piano de David Kadouch et les subtils arrangements instrumentaux du Quatuor, qui renouvellent par exemple le flux continu des accompagnements onduleux de Fauré, se fondent dans la voix envoûtante qui chante les vers de Baudelaire, Verlaine, Prévert ou Aragon. Avec caractère et subtilité, Noëmi Waysfeld prend ainsi la suite de ces auteurs et musiciens, nous rappelant pourquoi «longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues » (Trenet).
Laissons-nous donc envelopper par ces mélodies aériennes et suivons le conseil de Rainer Maria Rilke, dans le poème Gong que Dutilleux mit en musique : « Il faut fermer les yeux et renoncer à la bouche, rester muet, aveugle, ébloui : l’espace tout ébranlé qui nous touche ne veut de notre être que l’ouïe».